La Sécurité sociale depuis 1945

 

 

La naissance de la sécurité sociale : 1944-1946

Le programme du Conseil National de la Résistance

Pendant la Seconde guerre mondiale, le droit de chacun à la sécurité sociale sera consacré dans diverses déclarations internationales dont la charte de l’Atlantique de 1941 signée par Roosevelt et Churchill et la Déclaration de Philadelphie de 1944 qui sera la nouvelle charte de l’OIT.
Pendant cette période, en Grande Bretagne, Lord Beveridge propose un plan de sécurité sociale en vue d’éliminer la pauvreté en généralisant des prestations forfaitaires à toute la population et en créant un service national de santé financé par l’impôt.
En France, pays occupé, la réflexion sur l’après-guerre se déroule à Alger où se trouve le Comité français de libération nationale. Mais en juillet 1944, le commissariat aux affaires sociales du Gouvernement provisoire considère qu’il « n’est nullement en mesure de préparer un plan de réformes des divers régimes d’assurances sociales des travailleurs français ».
La Résistance intérieure de son côté prépare l’après-guerre en réunissant des professeurs de droit, des syndicalistes et des hauts fonctionnaires tels qu’Alexandre Parodi et Pierre Laroque. Mais elle juge les questions économiques prioritaires par rapport aux réformes sociales.
Ses réflexions déboucheront sur le programme du Conseil national de la résistance adopté le 15 mars 1944 qui consacre un article à l’instauration d’un « plan complet de sécurité sociale  visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils seront incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat ».
Cependant, à La Libération, aucun projet précis n’avait été adopté. Tout restait à faire.

Les ordonnances d’octobre 1945

C’est pourtant pendant le premier gouvernement provisoire présidé par le Général de Gaulle que sont adoptées les deux ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 relatives à la sécurité sociale, la première sur l’organisation, la seconde sur les prestations.
Alexandre Parodi, maître des requêtes au Conseil d’Etat, nommé ministre du travail en septembre 1944, confie dès le mois suivant à Pierre Laroque, également maître des requêtes et très impliqué dans les Forces françaises libres, la direction générale des assurances sociales au sein de son ministère. Il reçoit pour mission de préparer la réforme,
Le projet de l’ordonnance du 4 octobre 1945 est soumis à l’Assemblée consultative provisoire qui rend en août 1945 un avis favorable par 190 voix contre une et 84 abstentions, notamment du MRP, de la CFTC et de quelques radicaux, hostiles au choix de la caisse unique par département et à la nomination –et non à l’élection- des administrateurs.
Les ambitions de la réforme, que l’on a résumées par les 3 U – universalité, unité, uniformité- n’étaient en effet pas toutes acceptées par tous. Si le principe de l’universalité, c’est-à-dire de la généralisation, ne fut pas contesté en 1945, par contre l’unité de caisse et de cotisation fut rejetée par les mouvements qui réclamaient le maintien de l’autonomie des caisses d’allocations familiales (qu’ils finiront par obtenir). Mais ce ne furent pas les seuls problèmes.

La mise en œuvre des ordonnances de 1945

La situation économique du pays était particulièrement difficile. La succession de lois en 1946 traduit ce conflit entre les ambitions sociales et les capacités économiques.
D’ailleurs, l’ordonnance du 4 octobre 1945, qui créait une organisation de la sécurité sociale chargée d’assurer la protection des travailleurs (salariés et non-salariés) indiquait elle-même que cette protection pourrait être étendue à d’autres catégories de la population. On ne pouvait tout faire tout de suite.
Cette prudence n’a pas empêché la loi du 22 mai 1946 portant généralisation de la sécurité sociale de prévoir l’assujettissement aux assurances sociales de tout Français résidant sur le territoire français. Mais son application était subordonnée à l’atteinte d’un certain niveau de la production industrielle.
La loi du 22 mai 1946 sur les prestations familiales en accorde le bénéfice à la quasi-totalité de la population et la loi du 13 septembre 1946, brûlant les étapes, décide qu’au 1er janvier 1947 l’assurance vieillesse sera étendue à toute la population active. Enfin, la loi du 30 octobre 1946 intègre la protection contre les accidents du travail et les maladies professionnelles dans le champ de la sécurité sociale.
La loi du 13 septembre 1946 rencontra l’opposition des catégories non salariées : elle sera abrogée et une loi de 1948 créera les régimes autonomes d’assurance vieillesse des non-salariés non agricoles. Le secteur de l’agriculture avait déjà obtenu le maintien définitif de son propre régime tandis que les salariés du secteur public listés dans le décret du 8 juin 1946 conservaient leurs régimes propres, en principe à titre provisoire.
Les ambitions du plan français de sécurité sociale seront reprises dans les années 70 et au-delà quand des réformes importantes réaliseront la généralisation de la sécurité sociale à toute la population et même des régimes complémentaires de retraite aux personnes actives et harmoniseront progressivement les protections apportées par les différents régimes. Le plan de 1945 a inspiré tous les réformateurs depuis 70 ans.

Rolande Ruellan, Présidente du Comité d’Histoire de la Sécurité Sociale

 

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(Lagrave Michel et Laroque Pierre,« Hommage à Pierre Laroque à l’occasion du centenaire de sa naissance », Revue française des affaires sociales, 2008/1 n° 1, p. 151-163)